mardi 4 janvier 2011

Psychostasie


Interlude

Lorsque l’on se rencontre, les questions sont toujours les mêmes mais les réponses sont toujours différentes. L’autre chamboule nos certitudes, il répond à des attentes qu’on ignorait avoir et comble les vides que son absence crée. Lorsqu’une histoire débute, nous sommes dépendants de cette endorphine nouvelle, nos sens se muent en moteurs d’un corps que portait jusqu’alors la raison, et toute cette adrénaline qui nous rends si confiant en excédent et si faible en pénurie. Nous doutons comme une rébellion de l’encéphale tandis que le sang afflue en d’autres parties de notre organisme spongieuses ou musculaires. Nous perdons nos règles, réinventons nos jours. Notre regards va plus loin, parfois même plus profondément. Et lentement, le coté droit s’allie au coté gauche pour reprendre la situation en main, la tète se ligue pour dominer de nouveau. Nous sommes des animaux dressés, apprivoisés par des schémas sociaux, des patterns comportementaux et contraints par nos moyens physiques, intellectuels et économiques à être dociles. L’état amoureux pur et intégral n’est qu’un battement de cils, parfois le temps s’arrete mais toujours il reprend ses droits et les yeux s’ouvrent sur nos amours. Certains prennent au vol quelques poussières sur l’iris et se frottent, les larmes expulsent le corps étranger et l’œil rougis contemple le métronome impassible.
Parfois, je me sens si léger que je fronce les sourcils et baisse la tête de peur qu’une brindille ou un insecte ne percute mon globe à nu mais rien ne protège de cela. Le vent nous empale, l’amour est une bourrasque.


Psychostasie

J’étais avec Déborah au téléphone, on se disait qu’il fallait qu’on se revoie. On se parlait de choses banales, et puis elle me posa une question.
- Tu es encore avec Maryline ?
- Oui…
- Qu’est ce que tu fais avec cette fille ? Vous êtes totalement différents…Elle est…négative… Je ne sais pas comment le dire…
- Elle a juste besoin d’amour
- Mouais…t’es aussi fou qu’elle !...c’est sur
- Je sais, un jour elle va me tuer et se tuer après parce qu’il n’y aura plus de Nutella…

Je m’étais déjà souvent posé la question, j’avais souvent le sentiment d’être la goupille d’une grenade. Elle avait jeté un sort sur ma raison, notre histoire est celle d’une passion, le cœur sur une balance, une psychostasie.

Notre rencontre est tout ce qu’il y a de plus banal. Un soir je passe à la résidence étudiante de Supelec pour voir Nathalie, une amie qui y résidait. Le squat dans la chambre de Nathalie s’organisait, j’étais avec Eric un pote de ma promo, puis nous sommes rapidement 5 puis 7. Nat passe mon album de Dru Hill, une fille entre. Habillée tout de noir, petite, avec un gros sac en bandoulière. Elle s’arrête sur la musique.
- T’écoute Dru Hill !! tu me surprendras toujours
- C’est Pat’ qui me l’a passé
- Pat, c’est qui? … J’adore la voix de Sisqo !
Elle avait capté mon attention.

Je devais passer la voir à sa résidence universitaire, plus bas, afin que l’on s’échange des CDs.
Un peu paranoïaque, elle n’avait pas confiance et ne voulait pas me passer les disques, je devais lui apporter des K7 pour qu’elle me fasse des copies. Et, comme j’étais boulimique de musique, je passais deux, trois fois par semaine à sa chambre pour écouter des nouveautés et pirater les sons. Je l’apprivoisais et quelques semaines plus tard j’eu le droit d’amener trois disques par rencontre. Bien entendu, se voyant beaucoup, on discutait également beaucoup de tout et de rien et les soirs où je ne passais pas, on s’appelait. Elle aussi, m’avait apprivoisé.

C’était une époque étrange, je sortait beaucoup mais ne voyais pas vraiment mes amis. Pierre aka Bouba débutait sa romance, Chris était avec Caroline, Luc assez loin, etc. Je sortais beaucoup, découvrait la vie de la capitale la nuit, une vie qui me dégoutait. Le monde n’était qu’un ramassis d’ordures émotionnelles, une déchèterie pour sentiments, et dans cette fange n’émergeait que la rancœur, le ressentiment, l’égoïsme et la cupidité. Je me sentais exclu de toute chose, je me sentais seul. Dans ma nuit, j’avais croisé Emmanuelle de nouveau un soir, elle avait baissé la tête et rougit à mon regard, elle était comme une preuve que la lumière existait. Et puis, il y avait Deborah dans mon entourage, son sourire était un baume sur ma vie, je le regardais jusqu’à en être ivre, sans elle je ne sais pas ou ma chute intérieure aurait terminée. J’avais décidé de ne pas l’approcher pour ne pas risquer de perdre cette ancre dans le monde réel. Je restais alors muet, tapi dans l’ombre tandis qu’elle projetait sur les choses simple du quotidien une parfaite lumière.
Bientôt je n’allais plus en cours, je trainais ma carcasse voutée dans les salles obscures de St Michet et passait mon temps à visionner des Woody Allen et des Kurosawa, la vie avait plus de sens dans leurs scenarii. Les héros D’Allen cherchaient l’amour, la reconnaissance, ils luttaient contre leur moi intérieur, leurs phobies, les acceptaient, les transcendait et parfois l’échec était envisageable avec une certaine sérénité, une quiétude cynique. Les héros de Kurosawa, avaient un code éthique, la mort était omniprésente dans leurs pensées, il n’y avait parfois ni mal ni bien, la moralité et la justice dépendait du vainqueur, rien n’était préjugé, tout était acte (parfois dans la ruse et la fourberie) et la défaite était un enseignement. Ma philosophie de vie changeait, dans le monde de Chris Claremont qui avait inondé mon enfance, le mal était le mal mais dans mon monde post-adolescent arrosé par un juif newyorkais toqué et un vieil asiatique esthète, le mal n’était qu’une autre vue du monde, une autre perspective sur les choses. La force morale née de notre éducation et de notre expérience formatait cette perspective.

Nos soirs étaient devenus un rituel. Maryline m’écoutait parler. La tête en l’air, une cigarette à la main, elle mettait un disque, allumait des bougies, éteignait la lumière et s’asseyait sur le lit, dos contre le mur, les jambes en croix, sans rien dire, sans un sourire. Elle fumait la, tranquillement, ma voix devenait un chant sur le rythme qui passait. Un soir, elle posa sa main sur le lit et me demanda de m’approcher. J’étais surpris et hésitait.
- Allez…
Je lui obéis. Elle se coucha sur mes jambes. Cela dura des soirs et des soirs, un nouveau rituel. La musique et les bougies, sa tête sur moi. J’avais envie de l’embrasser mais j’étais bien comme ca, je ne voulais rien de plus. Un soir, je rentrais dans sa chambre et elle pleurait, je ne lui demandais pas pourquoi je la pris juste dans mes bras sans échanger un mot, et ce soir la le rituel changea. On se coucha leur contre l’autre jusqu'à l’aube, le disque de Morgan Heritage tournant en boucle. Au premier rayon du soleil, elle ne dormait pas mais n’avait pas bougé d’un pouce.
- Je change le disque mais tu restes la ?
- Si tu veux…
- Promis, tu ne bouges pas ?
- Je ne sens plus mon corps, je ne peux pas bouger
Elle mit demain c’est loin de l’album d’IAM, la touche Replay enfoncée et on resta collés l’un contre l’autre un moment encore. Je me levais finalement, elle grommela, mécontente, insatisfaite et triste. Je descendais et saluait Mme Henry (la mère de Titi) qui me dis un truc en créole auquel je répondis par un sourire, je n’avais pas le droit de dormir la.
Maryline me fit payer mon départ en m’évitant durant quelques jours.

Nous avions prévu un weekend end à Troyes chez une amie, on fini par se retrouver dans la même maison pour 3 jours. J’étais avec Eric dans une chambre, il me demanda ce qui se passait, je répondis qu’il avait quartier libre et que je serais enchanté si mes deux amis devenaient plus intimes. Il se mit à l’ouvrage dès le réveil pour conclure juste avant notre retour sur Paris. Quand je fus rentré chez moi, je me mis à pleurer comme un gamin sans savoir pourquoi, j’étais juste en overdose de ma vie. Je venais de perdre la personne qui soutenait mon mal être.
Le vendredi suivant, je voyais Christophe et Daivy et me sentait mieux, le samedi je rencontrai Héloïse, ce fut une belle rencontre. Je butinais de fleur en fleur jusqu'à la fin de l’année. N’ayant toujours pas approché Deborah, n’ayant toujours pas parlé avec Maryline. Son histoire avec Eric n’avait duré que quelques jours, trop hystérique, trop négative, trop a fleur de peau, trop, trop…Maryline. Un soir je passais la voir pour échanger des CD. Elle me dit qu’elle m’en voulait, qu’elle avait perdu son ami le plus important. Elle me demanda de rester. On se coucha l’un contre l’autre jusqu’au matin. A mon réveil, on s’embrassait, et d’un coup je fus submergé de toute ces choses qu’il y avait en elle, versés en torrent dans le vide de mon âme, en un baiser elle avait rempli mon existence. Je voulais être la pour elle, elle donnait un sens a ce vide car elle était la seule personne qui avait vraiment besoin de moi.

On était finalement ensemble. On l’avait toujours été et en même temps, on ne l’avait jamais été. Quelque chose de très fort et dévastateur nous relia brutalement, quelque chose qu’on avait évité pendant longtemps et dont on ne pouvait plus se défaire. Nos corps étaient en accord, synchronisés. Personne autour ne compris ce qui venait de se passer. Pierre me demanda, Nathalie me demanda,…je ne pouvais leur répondre, un raz de marée venait de passer sur ma vie.
Je ne me souviens pas de ce qui se passa ensuite, entre baisers et mots échangés, je crois que nous nous sommes séparés durant l’été, la France devenait championne du monde. Tout était possible, nous étions invincibles. En octobre, je vins sur Meaux pour passer un week-end amical avec Maryline, il ne le fut pas, nos corps explosèrent sur notre bonjour. Je me rendis compte que dans mes bras elle devenait quelqu’un de différent, mais dès que je m’éloignais, elle redevenait aigrie, anxieuse, versatile, le téléphone nous tuait. Il fallait que l’on soit proche l’un de l’autre pour exister. Elle se mit à faire des kilomètres par semaine pour venir me voir et j’ose croire que nous fûmes heureux mais en vérité je commençais à étouffer. Je commençais à mal vivre ma dépendance et ma lassitude. Quand se voir est contraint par nos sentiments, le manque de l’autre, certains y voient une passion, moi, je n’y voyais qu’une entrave obturant ma vue sur ce que la vie pouvait m’offrir. Aujourd’hui je sais, que ma perspective d’une situation est souvent l’opposée du bonheur, je ne suis pas apte aux sentiments simples. Il faut que mon cœur batte, il faut que mon cœur explose, quand ma course vers l’amour s’arrête, je me sens mourir.

Une aube, en rentrant elle eut un accident de voiture, dérapant sur une plaque d’huile ou surement la fatigue. Elle n’avait plus de véhicule. Elle en voulait à la terre entière, moi y compris. Je savais que l’espacement de nos entrevues signait notre avis de décès. Elle devenait insupportable loin de moi. Les mois avaient passés sans que l’on se rende compte, et tout était très compliqué. Quand ma tante m’offrait un billet pour Tahiti pour mes vacances, je partais seul. A mon retour, je mis fin à notre histoire, tout était devenu trop compliqué et j’avais revu la fille de mes rêves.
Maryline me répondit simplement :
- Dès la première fois où tu me parla de cette fille. J’ai su que je te perdrais à cause d’elle
- Elle est prise, il ne s’est rien passé. Il ne se passera sans doute jamais rien.
- La fille à la rose…ta destinée
- Oui, la fille à la rose
- Fait chier…je n’aimerais plus jamais ces fleurs la…

Quelques semaines plus tard, j’embrassais Emmanuelle, la fille à la rose.


Interlude

Janvier, une brise se lève. Ma vie est comme en léthargie depuis un moment, j’ai froid. Le vent furette entre les poils de mes avant-bras, chois au milieu de mon dos. Je frissonne. Je ferme mes yeux rouges et rêve qu’une larme coulera sur ma joue mal rasée, asséchée par l’hiver. Rien. Je regarde le reflet d’un arbre dans le miroir, ses membres amputés par la saison de leur toison verte. Je nous trouve des similitudes. L’automne a fait tomber les dernières feuilles de mes rêves. Je vais attendre le printemps, je bourgeonnerais à nouveau d’espoirs. Le soleil inondera à nouveau mes racines. Mon dos est courbé depuis si longtemps que personne n’a remarqué que j’étais si proche du sol. Je n’ai pas de peurs, je sais qui je suis. Le vent se lève, sa langue s’engouffre dans mon oreille et me chatouille. Ma vie se réveille, encore engourdie par son coma. Elle regarde l’heure. Il est déjà tard, il est déjà temps. Je souris, mon visage avait oublié cette forme. Mes commissures se défroissent, j’ai un pied au sol. Je n’ai pas oublié comment on marche mais je reste immobile. Je remplis mes poumons, je suis encore faible n’allons pas trop vite. Je déchire une étoffe de toile blanche et la pose au fond de ma poche. Un bout de drap pour ne pas oublier d’où je viens. Ce sommeil conscient. J’ouvre la fenêtre. Le vent tourbillonne. Je tends les doigts comme pour le saisir. Il s’enroule. Je ferme les poings et le serre. Il m’entraine.



PS: Bonne Année à tout mes lecteurs. Je vous souhaite le meilleur.

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