vendredi 17 avril 2009

Life before, chapitre 2: Val

Les gens se croisent mais ne se regardent pas, se sourient mais ne se parlent pas, se parlent mais ne s’écoutent pas. Parfois leurs mains se touchent, leurs lèvres s’écrasent sur des joues, parfois même ils se collent les uns contre les autres, se respirent ou se goûtent. Mais disant cela, je ne fait qu’enfoncer des fenêtres déjà grandes ouvertes sur le vide qui emplie nos relations entre mortels. Se connaître ne veux pas dire se connaître. Notre plus grand paradoxe est que cette intimité que l’on veut gardé par le dragon Ladon de nos consciences n’est qu’un jardin aride délaissé par les Hespérides, sa vraie valeur n’existe que si on la dévoile. Et tout ce mal que l’on s’inflige à vouloir dans des élans sincères mais futiles et maladroits a se protéger ou se libérer est comme l’ultime présent à l’autre.

Cette histoire se déroule bien avant le chapitre I…

Il était tard, j’étais assis sur le sable d’Almeria. Quelques nuages nous cachaient les étoiles mais la lune pleine veillait sur nos silences. Elle avait la tête sur mes cuisses, mes doigts emmaillaient et démaillaient tour à tour ses cheveux bruns tandis que ses poumons se gonflaient pour ensuite relâcher un soupir. Elle se tourna pour me faire face. Tu me pardonne ? demanda-elle anxieuse. Et comme je ne disais rien, elle se retourna encore face à la mer. Un nuage passa devant la lune, nous confinant à l’obscurité et quelques gouttes se mirent à tomber éparses sur mes avant-bras. Tu veux y aller, Val ? lui demandais-je. En guise de réponse, elle enfonça sa tête sur mes cuisses comme pour elle aurait fait avec un oreiller pour préparer sa nuit et elle répondit: Non, attendons la pluie.
Les gouttes se mirent a tomber avec une plus grande fréquence, je penchais sans y penser mon buste pour lui servir d’abri et inclinait ma main sur son front afin d’éviter que son visage ne soit trop trempé. Elle se mit à rire : et maintenant tu me pardonne ? Tu compte me faire attraper la crève si je ne te pardonne pas, c’est ça ton plan ? Elle se remis à rire. Tu sais, repris-elle, quand je suis avec toi j’ai l’impression d’être vraiment la personne la plus chanceuse au monde, tu as milles attentions si discrètes que souvent on ne s’en rends même pas compte. Je haussais les épaules. Mais des fois j’ai envie de te taper quand tu ne dis rien, ça me rends folle. Tu me rends folle, j’ai en vie de hurler tellement je t’en veux d’être toi. J’apposais ma main sur sa bouche pour la faire taire, je pris un coup de poing dans le ventre, puis un autre sur l’oreille. Nous étions déjà trempés. Elle se leva, des insanités fusaient de ses lèvres avec un flow digne des Bone’s Thugs & Harmony mais je ne l’écoutais pas. Je regardais l’eau ruisseler sur son cou et s’immiscer dans les courbes de sa poitrine. J’avais envie de me jeter sur elle, de lui mettre la tête dans le sable dans la violence subite d’un coït passionné. De me laisser aller à mes instincts primaires. Mais au lieu de tout ça, alors que la solution la plus plaisante était aussi la plus saine, je lui lançais une phrase assassine : Ok, c’est bon tu m’a saoulé, on arrête la. Elle se tue, visiblement elle ne s’attendait pas à ça, moi non plus, quelle phrase à la con. Je ne me souviens pas de la suite.

Le lendemain, le soleil était timide au réveil mais durant notre trajet en bus vers Séville, il s’était bien rattrapé. La visite de la ville fut un enfer, un groupe de trente ados débiles déambulant dans le quartier de Santa Cruz en ne pensant qu’a acheter des glaces, traversant Giralda pour y trouver de l’ombre, même l’Alcazar n’avait suscité le moindre intérêt. Apres ces vaines heures, éreintés par la canicule nous reprenions le bus en direction de Granada.
La journée n’avait rien changé, j’étais seul dans un coin du bus, Val était quatre sièges plus bas, nous n’avions pas échangés un mot. Derrière nos lunettes de soleil, nous nous étions épiés, chacun cherchant un signe de flexibilité chez l’autre, une porte d’entrée. Mais j’étais trop fier et elle trop passionnée. Nous n’étions séparés par quelques mètres, ne pensant l’un et l’autre qu’a l’autre, je ne voulais que d’elle et j’attendais qu’elle fasse un pas, elle attendait la même chose. Alors comme souvent lorsque nous ne trouvons pas le courage ou n’avons pas la décence de décider de notre futur, la vie décide par elle-même et le résultat correspond rarement à nos souhaits.
L’arrêt à Granada ne dura que le temps d’une dizaine de battements de cils. Nous allions repartir quand une fille tomba dans les paumes. On lui apporta de l’eau, elle avait une insolation. Nous étions tous ensemble depuis deux semaines mais je la connaissais pas, elle ne faisait pas partie de mon groupe restreint de fêtard compulsifs. Elle était d’Isbergues, une ville vers Calais, devait faire un mètre quatre vingt cinq, et les long cheveux noirs qui descendaient sur sa robe en flanelle beige faisaient ressortir le teint rubicond de ses épaules. Elle avait cramé. Je ramassait les sandales qui avaient glissées de ses pieds tandis qu’on l’aidait a monter dans le bus. Quelqu’un la mise sur le siège a cote de moi. Elle pleurait.
Le bus reparti. J’étais embarrassé par ses larmes, ne sachant pas trop quoi faire. Je pris mon walkman et lui passa un des écouteurs intra conques, elle me dit merci. Le fil des écouteurs était court, elle se colla à moi, je passait un bras par-dessus sa tête et elle posa la tête sur ma poitrine. Bob Marley chantait tranquillement ‘Waiting in vain’ quand ses larmes avaient séchées. La nuit tombait, je regardais par la fenêtre pour voir si la lune était aussi grosse et brillante que la veille mais je ne l’apercevait pas. La fille du nord, avait toujours la tête collée sur ma poitrine, la K7 avait déjà fait plus d’un tour et Bob chantait ‘Satisfy my soul’. Je lui soulevais doucement le menton et lui demandais : Ca va mieux ? Elle m’embrassa. Ce baiser dura jusqu'à notre arrivée.

Nous primes rendez vous avec mes amis habituels pour se retrouver le soir dans notre tanière de débauche. Je me sentais mal, je ne savais pas comment gérer cette fille inconnue qui était désormais mienne, et cette soirée confronté à celle que je voulais vraiment. Comme souvent face à un mur, je décidais de ne pas dépenser d’énergie à y penser et de réagir une fois en face de celui-ci. Sur la route menant à notre bar, je croisais Frank, un des type avec qui je traînais le soir. Il me faisait rire. Il me prenait pour un modèle a suivre, me sortant des trucs du genre ‘direct tu l’a enchaîné la Lilloise’, ‘Laisse nous en quelques unes dans le groupe’, ‘Ta tête arrive au niveau de ses seins’. Sa connerie m’a déstressé, il ignorait que j’étais psychologiquement à la rue…
Arrivé devant le bar, ma grande brune était déjà la, hyper souriante. Elle avança vers moi, sa courte jupe légère dévoilait ses cuisses à chaque pas, elle m’embrassa, j’étais sur la pointe des pieds. Une fois dans le bar, les choses avaient un goût différent des nuits précédentes, tout se passait sans heurt. J’avais pris l’habitude des soirées animées avec Val la folle, et la, tout était calme. Elle était très câline, se présentait à tous mes amis, j’étais très embarrassé d’autant que dans son coin celle qui avait les faveurs de mon cœur assistait a tout sans un mot. Et je ne faisais toujours rien pour changer la situation.
Je raccompagnait ma fille du nord et le long de la plage je ne trouvais toujours par la lune. Nous nous allongeâmes sur le sable froid et la température monta. Mes doigts courraient le long de son cou, seins, hanches jusqu'à des zones plus intimes. Elle se cramponnait à moi comme si mon corps déjà collé contre le sien n’était toujours pas assez près, comme si elle ne me sentait toujours pas assez. Puis dans un feulement elle se relâcha complètement, jetant la tête en arrière sur le sol, laissant ses bras rouler le long de mon dos. Je dégageais son regards derrière ses cheveux, son rimmel avait coulé laissant de noirs sillons sur ses tempes et ses joues. Ca va ? demandais-je. Trop bien me répondit elle. Je ne comprenais pas, elle caressa mon visage avec tendresse. Pourquoi je ne t’ai pas rencontré plus tôt ? Et voulant faire de l’humour, je sorti un connerie comme à mon habitude dans les moments intenses. Je ne me souviens pas de ma super boutade du moment, mais elle se mit a me serrer dans ses bras de toute ses forces et sur le chemin du retour me raconta toute sa vie. Sa vie était pleine de drame, de choses que je n’ose écrire par respect pour sa mémoire et je compris vraiment que j’étais sans nul doute la personne la plus désintéressée et la plus attentionnée quelle avait rencontré. La, devant la porte de son immeuble, sous l’escalier, derrière les boites aux lettres, ce fut la première fois, elle et moi.

Le lendemain, au réveil, quand je tirais le store de ma chambre d’étudiant en exil dans le sud espagnol, il me tomba dessus manquant de m’éborgner. Je descendis les marches l’air de rien et quand la vieille qui m’hébergeait me parla du bruit matinal dans son espagnol incompréhensible je lui répondis qu’il avait fait chaud a Séville.
Les cours d’espagnol, ce matin la étaient tendus, mon binôme était désormais mon ex-amie. En deux jours les situations peuvent changer du tout au tout, nous ne nous parlions plus, et la bigote qui officiait en tant que prof ne comprenais plus rien. Il faut l’avouer, j’étais prêt tout pour elle, elle n’avait qu’a dire un mot, mais rien....A quinze heure, je pris ma raquette de tennis et partit prendre ma raclée quotidienne contre un espèce de nain blondinet qui se la jouait sourire Ultra-Brite a chaque ace. A 17h, alors que serviette sur la tête je tentais de récupérer mon souffle, une main glacée passa sur mon cou, ma grande brune était la.
Je me suis pavané ainsi, fringant comme un coq au bras de cette fille que je n’aurais jamais approché si le hasard ne l’avait mise sur ma route, en souffrant à chaque regard de l’autre. Je n’avais plus le choix, je faisais ce que tous mes potes attendaient de moi, je jouais le type blasé supacool. Je ne voulais pas la blesser, d’autant qu’elle comblait ma lubricité d’ado mais une fois seul, une fois devant le miroir je baissais les yeux. Cela a duré jusqu’au train du retour vers Paris.

Nous étions dans un train de nuit, quatre par loge couchette. J’étais avec Frank, le blondinet et étrangement une fille, Catherine, rousse marrante qui venait de Normandie. La cabine d’a cote était pleine de filles, dont Val. Ma girafe était dans le wagon d’a cote, c’était notre dernière nuit ensemble et mes potes avaient accepter de nous laisser la cabine, je dut soudoyer Catherine. Ce soir la, il ne se passa rien, elle était collé à moi, pleurant durant tout le voyage alors que je ne pensais qu’a des choses salaces et voulais sortir de cette ode au mouchoir interminable. Quelqu’un frappa à la porte. J’allais ouvrir, et la lumière entra dans la pièce en même temps que la gifle que je reçu. C’était Val : T'as encore fait une connerie ? J’esquivais la seconde salve. C’est quoi ton truc, rendre les filles malheureuses ? J’étais heureux, elle me parlait pour la première fois depuis des jours, je me mis à rire: mais t’es vraiment une malade! Elle avança, je reculais. Ce n’est rien, elle ne veux pas rentrer c’est tout….il y eu un long silence…Nous restâmes tous les trois assis dans le noir jusqu'à Paris, sans dire un mot. Je pris leurs adresses, leur numéros, je ne pouvais rien leur donner en retour car je ne savait pas ou ma mère avait décidé de vivre.

Finalement, une semaine plus tard, j’aménageais dans le 77, dans les bois de Cesson-la-Foret. Et après que nos coups de fils se soient espacé jusqu'à ne plus être, ma vie avait repris son cours asthmatique. Un jour, je faisais un échange de comics sur les Ulis. En descendant la rue, je tombais sur un type qui m’arrêta du bras. Patrick ? T’es Patrick pas vrai ? C’était un black de cinq à six ans plus âgée de que moi, assez baraqué, je ne le connaissais pas. Il enchaîna, Ah mon pote, je sais tout de toi, Val, elle parle sans arrêt de toi. J’ai l’impression qu’on est cousin, non en fait je te connais mieux que mes cousins…il riait fort, ça me dérangeait. Les gens nous regardaient. Je souris bêtement car de toute façon vu sa largeur de buste j’aurais mis au moins 3secondes pour le contourner, trop long. Il ne s’arrêtait plus de parler : Et tu l’a vue là ? elle a pas du t’entendre, elle a toujours un casque sur les oreilles... Je me retrouvais sur Orsay à monter la cote vers le domicile de Val avec ce type bizarre. Il poussa la barrière d'un jardin, puis ouvrit une porte avec ses clefs. Dans le salon, une fille était assise de dos, elle portait un tee-shirt bleu et un short rose, ses pieds étaient nus. Elle se retourna, et hurla : Patrickkkkkk, courra, me sauta dans les bras, me serrant jusqu'à m’étouffer. Le fil du casque n’était pas assez long, il se deplugga de la chaîne hi fi, c’était la voix de Karin White chantant ‘Love saw it’. Elle me présenta, son boy-friend, elle lui dit voila mon meilleur ami en me frappant de son doigt. Elle me fit visiter, j’étais dans sa chambre, petite, un grand lit était collé à une armoire couverte de miroir. Dans le reflet je voyais des photos d’elle et moi sur un banc à Madrid, j’avais une d’entre elles, Catherine me l’avait envoyé. Je dînais avec eux, écoutant de la musique, je découvrais pour la première fois Keith Sweat, Shai, Bell Biv Devoe. Elle chantait, elle riait, elle était heureuse. Son homme me raccompagna en voiture jusqu'à chez moi, je le haïssais, il était trop sympa.
Durant les deux années qui suivirent, je les vus deux ou trois fois pour des anniversaires. J’étais passé à autre chose, mais quand ma mère décida de déménager et que la classe Mat Sup. de François 1er à Fontainebleau devenait trop loin, je signais pour l’école d’ingénieur sur le campus d’Orsay avec mon pote Christophe. Etait-ce un hasard ?

Je crois avoir croisé Val l’an dernier, le week-end du 8 mai non loin du Louvre, je n’ai pas osé l’approcher, on dit que la foudre ne tombe jamais deux fois au même endroit mais Thor peut être parfois un peu facétieux.

mardi 14 avril 2009

Life before, Chapitre 1

Parce qu’il était temps que les béotiens du poker aient aussi droits à mes élucubrations, et que ceux qui suivent mes anecdotes quasi surréalistes (sur http://low-stakes-poker.blogspot.com/) aient enfin de quoi alimenter leur soif inextinguible d’envolées lyriques à période régulière. Parce que mon actualité poker se résume à un post par mois alors que ma vie n’est pas un épiphénomène mais un post qui ne s’arrête jamais, parce ce que j’ai la chance de parcourir 52 pays de cette planète et que je ne me contente jamais des murs affables de mes chambres d’hôtel dans mes nuits d’insomniaque. Et parce qu’enfin, le démon de l’écriture caresse doucement ma nuque puis y plante avec violence des ongles acérés dans mes soirs de mélancolie, de ces jours sans envies à ces jours ou je vis cents vies. Que je sois lu ou non, pour moi ou pour d’autres, je pose la première prose de ce nouveau blog. Veuillez par avance excuser l’auteur qui se livrera comme jamais sur son passé, son présent et ses espoirs, veuillez excuser sa franchise mais il ne vous mentira pas, ne cachera rien, veuillez excuser les blessures qu’il portera à ceux qui ont croisés, croisent et croiseront sa route.

Life after Love. J’ai longtemps hésité sur le nom à donner à ce blog, et tour à tour il aurait pu s’intituler : Une vie à l’ombre des mancenilliers, Nouvelles sous endorphine, Ce qui reste après l’amour, Mémoires non posthumes, etc. Finalement, j’ai regardé la biographie filmé de Christopher Wallace et sur le générique de fin j’ai vu que nous étions nés le même jours (il est de 3ans mon aîné), en clin d’œil à cela j’ai voulu baptiser ce recueil de vécu et de pensées en analogie au titre de son dernier album, Life after Death. Life after Love, adolescent je me demandais si il y avait une vie après les études et alors je me suis mis au travail, chômeur je me suis demandé si il y avait une vie après ma mort sociale et économique et alors je me suis mis au travail, et maintenant après neufs années de vie amoureuse, maintenant que l’amour est mort que me reste-il ?

Je suis à un age où les rêves se sont évaporés, certains sont encore là, ils persistent dans leur ridicule, leur corps gît inerte et froid sur le sol convulsant à la moindre brise sur leur échine. Aller, mourrez donc ! Vieux joujous cassés, asphyxiés dans la poussière que laisse votre chair en décrépitude. Mourrez donc, que seul votre souvenir me hante, qu’une larme s’échappe en résurgence à la vue d’une photo je peux le supporter mais je ne résiste plus aux relents de votre sapidité capable d’enivrer jusqu'au coma.
Réminiscences. Je me souviens de mon ancien binôme, Pierre aka Bouba, un soir de décembre dans sa chambre universitaire sur le campus d’Orsay. Nous étions là à discuter de choses futiles et de d’autres capitales dans nos vies de l’époque. Et puis, au beau milieu de cette conversation, il m’a dit avec une flamme étrange dans le regard des mots qui font échos jusqu'à aujourd’hui. Un paquet de Pepito à la main, il me disait que nous devions décider ce que nos vies serait demain, que le temps nous était compté, que nous avions jusqu'à nos 35ans pour réussir nos vie qu’après c’était foutu. Bien sûr je rigolais, et il reprenait son développement oratoire. Patrick, me disait-il, la vie est une course contre la montre jusqu'à 35ans puis un compte à rebours jusqu'à notre mort, en 35 ans on doit apprendre qui on est, apprendre ce que l’on va faire de sa vie et trouver avec qui la partager.. Et crois moi, ces trois trucs la sont les trucs les plus durs jamais imaginés par dieu pour nous mettre à l’épreuve. Je prenais un Pepito avant qu’il ne finisse le paquet dans l’homélie qui visiblement le rendait boulimique, et fasciné par tant de convictions, moi qui n’en avait aucune, j’étais alors réceptif. Il poussa ma main du paquet et continua, tu sais, j’ai eu confiance en toi dès le premier regards (bon, j’ai eu tort soupira t-il en souriant) parce que toi t’as un truc, les gens ils te font confiance, moi il faut que je bosse. Mais tu sais, je te dis ça par ce que je ne sais toujours pas qui je suis, je ne sais toujours pas ce que je vais faire de ma vie a part qu’il faut que ça paye car j’ai la dalle (on se mis à rire tout les deux) mais tu sais, ce week-end, j’ai rencontré la femme de ma vie.
J’étais totalement sur le cul. Il semblait a présent comme envoûté par quelque charmes tribaux, et ne s’arrêtait plus. La dernière fois tu m’a parlé du Satori de maître Ueshiba, Pat, j’ai eu la même chose, cette fille sera ma femme, j’ai réussi un des trucs les plus durs sur terre. J’ai trouvé avec qui vivre le compte à rebours.
Je ne sais plus quels furent les autres déviations de notre conversation, tout paraissait fade après ça, par contre je me rappelle que dans ma voiture qui peinait a démarrer ce soir la à cause du froid, j’étais terriblement jaloux de cette lueur dans son regard. J’enviais cette certitude, plus que sa cause, plus que ses conséquences. Il était comme Archimède à qui on avait donné un point fixe, il pouvait faire bouger le monde, son monde. Le lendemain, je quittais ma petite amie car je voulais moi aussi trouver ce sentiment de plénitude, et parce que j’avais inventé le théorème de mes peurs laconiques: si il n’y a pas d’amour entre nous alors il n’y a rien d’autres que deux corps qui s’entrechoquent. Le silex de nos deux corps se doit de produire des étincelles.

Un longue période de doute me submergea, sur mes désirs, sur ce que j’étais. Bizarrement le hasards mis sur ma route quantité de filles a cette époque, comme quoi l’homme triste attire, mais rien n’y faisait, j’étais vide, elle n’étaient que des corps. Je passais alors beaucoup de temps hors des cours et aujourd’hui je suis incapable de dire ce que j’ai fait durant ce temps libre, à part perdre du temps. Un mercredi, je décidais de faire quelque chose pour changer tout ça et j’appelais celle que je considérais comme l’archétype féminin, Audrey, la Betty Draper de la série Mad Men, et lui donnait rendez-vous pour déjeuner.
Le jeudi matin, je n’avais aucune idée de ce que je voulais vraiment mais pris d’une folle frénésie je me mis à tout démonter dans l’appartement, j’installais une table dans ma chambre, changeai les meubles de place, préparai deux assiettes, le CD de R Kelly sur la platine préprogrammé sur les slows qui tuent et…j’avais oublié de faire le repas. Je sorti mon joker pizza de ma poche et me dit que le repas importait peu, je devais faire une mise en scène pour camoufler mon stress total et la désorganisation. Tout était prêt (dans la mesure du chaos que j’avais généré), j’avais même une rose posée sur le tableau de bord, et la preuve la plus tangible de ma fébrilité est que j’étais à l’heure au point de rendez-vous. La bise traditionnelle et mon émerveillement au parfum du shampoing dans ses cheveux passé, le trajet en voiture me parut durer une demi seconde. Sur le parking, j’improvisais ma mise en scène en temps réel, je bandais ses yeux et lui pris la main. Je la guidais dans l’escalier, puis dans la chambre, lançait la voix du homeboy de Chicago et lui ôtait son bandeau. Tout alla très vite, j’étais paralysé. Elle me posa des questions, apposa ses doigts sur le clavier ergonomique (accessoire vintage pour geek de nos jours), elle semblait aussi troublée que moi. Et puis elle regarda l’heure, elle devait partir, ses cours reprenaient…j’avais oublié qu’il y avait une vie dehors et même avant cela je n’avais imaginé que cet instant ai une fin. J’arrêtais le CD et la raccompagnai tout étourdit par ce retour au réel.
Sur le chemin, dans sa curiosité elle ouvrit la porte de la cuisine où j’avais entassé tout le bordel mis le matin. Quel effroi, elle avait vu l’envers du décors, mais quelle idée d’aller en cuisine…elle avait cassé quelque chose dans cet instant. Je la déposais devant son université, mes mains étaient moites, l’habitacle était imprégné de son parfum mais quand elle bougeait la tête c’est son shampoing qui me rendait nerveux, j’aurais voulu la kidnapper et le temps que cette pensée me traverse l’esprit, que je lui offre la rose, lui demande de rester, il ne restait plus que son odeur, elle courait vers son avenir. Je suis resté la, comme un con, pendant cinq minutes à ne rien faire et j’ai pris une feuille de papier, un stylo et j’ai écrit. Dans mon texte je lui disais adieu car je savais qu’on ne se reverrait plus et je lui disais j’avais compris que je ne l’aimais pas, j’aimais l’image que j’avais d’elle.

Je froissais le papier encore transpirant de mes mots et le jetais par la fenêtre, le soir je passai voir Natacha. Quand j’arrivais, deux types inconnus étaient affalés sur le sofa avec un énorme joint, elle était très aérienne. Ils venaient de tourner un clip de ragga, elle ne m’avait rien dit, je pensais intérieurement que ce n’était pas ma journée. Un des types se mit à me parler de l’éducation des enfants, il s’entêtait a penser que j’étais prof, que j’étais un type bien avec mes ptites lunettes d’intello. Je le méprisais, lui et tout ce qu’il représentait, j’avais envie de vomir sur son âme. Je regardais Natacha, elle était belle, elle était encore plus paumée que ces deux rebuts de la société sur son canapé, j’étais triste pour elle. Je m’emmurait dans un mutisme volontaire, j’observais leurs gestes saccadés comme des pantins que le marionnettiste était fatigué d’animer. Je me levais après une demi-heure tapis dans l’ombre, totalement oublié par la troupe, je lui pris le bras et la poussa dans la demi pièce voisine. Je l’embrassais sur le front, la pris dans mes bras et lui murmura dans l’oreille de faire attention, de garder le contrôle de la soirée. Elle recula, me dit que j’étais trop sérieux, avança, m’enveloppa de ses grands bras à son tour et se mis à pleurer, elle me dit que sa mère était malade et recula a nouveau en essuyant sa joue. Je lui pris la main, l’embrassa à nouveau sur le front, les tempes, les paupières, les joues, les lèvres et lui murmura: adieu. Je partis sans me retourner.

J’avais tourné une page sur ma vie, mes amours. J’avais laissé la blonde, sa lumière, sa grâce, sa douceur et son parfum partir sans avoir la force de la retenir. J’avais laissé la brune, son monde sombre, sa tristesse, la chaleur de ses bras pour partir. J’étais libéré des tout mes maux, de ces deux faces de la même pièce, dans la coïncidence d’une même journée.

Life before Love ? Non ! Juste Life before, le reste cela se mérite.