mardi 19 mai 2009

Le syllogisme de la Trinité, part I

J’étais assis dans le fond de la salle. La banquette usée s’enfonçait sous mon poids, épousant les formes de mon corps avachi. Il n’était pourtant pas tard, mais parfois la fatigue physique rejoint la fatigue morale sans que l’on s’en rende compte. Parfois, les jambes ne nous portent plus, la pesanteur est trop forte, les bras restent collé le long du torse ils sont las de jouer les ustensiles d’acrobate permettant au balanciers que sont nos squelettes de tenir en équilibre. La succession de jours psalmodiques érode le métronome de nos raisons jusqu'à ne laisser que la chair à vif de nos ongles écornés à force de gratter les murs des heures écoulés. Vaine tentative de laisser la trace de notre passage, un témoignage de notre existence dans le trou noir des actes monotones, nous voulons rompre le prévisible et ignorant jusqu'à cette lassitude qui gangrène nos moelles nous hisser dans des lieux où d’autres sont ou paraissent heureux.


J’étais assis dans le fond de la salle. Mon verre ne contenait plus que des glaçons, fondant doucement sur les restes de caramel et de caféine de la substance précédemment bue, j’étais sobre mais ivre de langueur. Un couple, sans doute nouvellement formé, échangeait des substances aqueuses par voie buccale, tandis que leurs mains allaient et venaient comme Aladin sur sa lampe cherchant a exaucer ses vœux. Je me mis a sourire pensant au génie perfide qui sortirais de cette union de frotteurs aguerris. Je regardait d’un œil leur ébats sans retenue, à la lumière violacée d’un spot de boite de nuit, à la merci de la critique des cyniques et des pudibonds. Je dépliais non sans mal mon bras vers mon Graal de glaçon et tête en arrière tentais d’en faire tomber un dans mon gosier. Un iceberg chuta dans sur ma langue emportant sur son passage un fluide sucré et brunâtre, la soudaineté de la chute me fit tousser et recracher le bloc de glace, le liquide dégoulinant du long de mon menton sur ma chemise. Cet épisode digne du grand blond à la chaussure noire exhuma la dépouille de ma vigueur et me précipita vers les toilettes. Je franchissais la salle pseudo afro-cubaine du Metropolis, et me passais un grand coup d’eau sur le visage et sur ma cilice. En sortant, je m’appuyais contre un faux palmier, subitement éreinté par cet empressement et regardais quelques minutes les gens danser. Une fille me pris par la main et me tira vers la piste, elle était étrangement belle donc je me demandais ce qu'elle me voulait avec son grand sourire sur sa toute petite bouche. Elle se mis a trimballer mes bras au niveau des ses épaules tout en secouant ses hanches comme si elles étaient sur roulement à bille. Je ne comprenais pas vraiment ce qui se passait, je me contentais d’un rictus de constipé et de deux pieds totalement inflexibles. Elle se colla contre mon buste. Je la repoussais instantanément. Elle se figea.
-…, Je suis trempé… Je viens de passer ma chemise sous l’eau. Elle se mis à rire. Elle avait un visage aux traits très fins, tout petit, des épaules dénudées comme dessinées par Rodin
- J'ai flippé.... J’ai cru que tu me jetais !
- Non, non je suis juste….totalement à la rue. Je me mis à rire moi aussi.
Elle m’agrippa le bras pour atteindre mon oreille.
- Je ne vais pas tarder à y aller, je dois rentrer
- Ha! ok… Je n’avais pas encore répondu et ses lèvres étaient déjà sur les miennes. Je me retrouvais quelques minutes plus tard avec le numéro de téléphone de Sabrina, un numéro de tam-tam et un rendez vous le mercredi suivant.


J’étais assis dans le fond de la salle. Je me retrouvais à nouveau seul. Je divaguais silencieusement sur les relations hommes-femmes au rythme des sonorités seventies. Je pensais à une phrase de mon pote Luc quand sur les bancs du lycée nous dissertions déjà sur la vacuité des Marivaudages adolescents : Nous sommes tous des Tom. Oui, nous sommes coincés dans un épisode live de Tom&Jerry, les hommes sont des matous maladroits égarés dans une quête perpétuelle de la chair de Jerry, souris coquine et malicieuse. Mais, quand cette croisade éperdue vers cet être tant désiré touche à sa fin, quand nous tenons enfin sous nos griffes notre proie nous réalisons que le véritable but n’était pas le Graal mais la course vers le trésor elle-même. Nous sommes tous des Tom. Au final, ce sont les filles qui ont le dernier mot. On peut se démener, on peut charmer, parfois même séduire, mais au final ce sont elles qui mènent la danse, et ce, même dans leurs erreurs. Notre seul pouvoir est d’arrêter la chorégraphie, de délaisser leur bras, d’abandonner la saltation, et puis de souffrir a nouveau du manque de mouvement.


Le mercredi suivant, je me retrouvais totalement perdu dans les rues de Vitry sur Seine, m’arrêtant à chaque cabine téléphonique pour demander mon chemin. Arrivé en bas de sa cité, stationné en double file, je me demandais à quoi ressemblait cette fille, je me souvenais avec peine de son visage dans la pénombre. Des types louches me regardaient bizarrement, j’abaissais le loquet de sécurité pour verrouiller les portes. Une fille passa devant le capot avec un gros blouson kaki et me fixa, une sucette à la bouche. Je devais la regarder fixement sans vraiment y faire attention car elle s’approcha de la fenêtre.
- Vas y…tu veux quoi ?
- Heu…
- Tu mates quoi ? Tu t’es cru au peep-show ?
Elle cogna la vitre. Elle allait parler a nouveau quand on la siffla. C’était Sabrina. Elle était habillé tout en blanc, pull moulant, jean, bottes… Elle parla deux secondes avec la sœur de Terminator, puis fit le tour pour entrer dans mon habitacle. Elle m’embrassa, j’avais l’impression d’être dans un film, que superwoman venait de me sauver mais le plus drôle c’est qu’elle me dit une phrase qui semblait indiquer que c’était moi le héros : Envole moi. Je ne savais pas où aller, alors je roulais dans les embouteillages de la N7, on écoutait MJ Blige, elle se mis à chanter collant sa tête sur mon pectoral droit. Ca me gênait pour conduire mais je ne voulais pas qu’elle pense que je la rejetais à nouveau, donc je faisais comme si de rien n’était. A mis parcours elle me demanda si on allait chez moi, je ne savais pas quoi répondre alors j’acquiesçais. Elle me serra le bras.
- Tu sais la bas, à la cité…personne ne m’a jamais vu avec quelqu’un.
- Tu n’as jamais eut de copain? Lui dis-je, incrédule teinté de cynisme
- Non, c’est pas ça, j’ai eu quelqu’un mais…il était plus vieux, il est jamais venu me chercher à la cité, j’allais chez lui
- Ah!…livraison à domicile
Cela ne la fit pas rire, elle lâcha mon bras. Je m’excusais. On s’arrêta à Belle-Epine pour aller au cinéma car j’allais péter un cable dans les embouteillages. Elle était exactement ce dont j’avais besoin à ce moment là, d’une douceur infinie, candide jusqu'à faire penser qu’elle était stupide et terriblement sexy. Habillée tout en blanc, elle ne passait pas inaperçue, ça me rendait mal à l’aise et fier en même temps. Quand je la ramenais au pied de son bloc immeuble, je remarquais que les gars louches me regardaient avec encore plus d’intérêt, j’étais d’autant plus motivé lors de notre baiser d’adieu.


On se voyait deux à trois fois par semaine, de ces instants privilégiés où l’on découvre l’autre, mentalement et physiquement. Quand on apprends chaque détail, s’émerveille aux bonnes surprises, oublie les mauvaises. De ces instants où on accepte l’autre tel qu’il est car il fait de même, comme un jouet neuf le soir de Noël. Le papier cadeau maculant le sol, la boite frénétiquement arrachée pour saisir à bras nus son contenu, les commissures des lèvres touchant les pommettes, l’œil animé d’une étincelle de bonheur. Quand nous avons encore de l’empathie, quand notre égoïsme tapis sous le voile de cœurs épanouis attends son heure, fauve au abords d’un oasis où le gibier s’abreuve. Cela dura jusqu'aux vacances de Paques.


C’était le dernier temps libre avant nos examens respectifs, nous savions que nous aurions moins de moments partagés à venir et qu’il fallait donc en profiter. Nous passions toute la semaine ensemble, mes finances qui alimentaient nos sorties et l’essence des aller-retour vers son domicile commençaient à faner donc nous restions cloîtrés chez moi jusqu’au week-end. Le vendredi, nous retrouvâmes Bouba (Pierre mon binôme, voir première histoire de ce blog) et deux de ses amis, je voulais lui présenter Sabrina. La soirée était agréable, mais la nuit se transforma vite en cauchemar. Une fille que je voyais assez régulièrement quelque temps auparavant quand je fréquentais le Kio (une boite de nuit vers Fontainebleau) se trouvait la avec son nouveau boyfriend campagnard et me sauta dessus, se collant à moi comme une traînée à chaque morceau de Ragga sous l’œil amorphe de son compagnon et celui horrifié de Sabrina. Bouba me sauva la vie en jouant le backup social avec mon amie à chaque salve de folie de la blondasse du Kio. Je commençais à m’amuser de la situation grotesque quand je croisais le regard de la fille que je cherchais soir après soir en allant dans cette boite. Je l’avais croisé six mois antérieurement, sur cette même piste et j’y étais retourné tout les vendredi et tous les samedi pour la croiser a nouveau. Je ne savais meme pas son nom.
Je me retrouvais avec une énergumène qui me tamponnait le pantalon avec sa croupe, ma compagne et cette autre fille qui me hantait. Pourtant, alors que la fièvre avait gagné mon corps, alors que j’étais dans une situation prompte à tous les malentendus, cette fille me regardait encore avec les mêmes yeux. Je la fixais avec une infinie tristesse, comme si le destin avait voulu qu’elle me reste inaccessible, et la tête baissée elle fit un geste qui l’inscrivit en moi pour des années encore, elle passa sa main dans ses long cheveux bruns, les soulevant pour avoir un peu d’air sur le cou. Tout était immobile l’espace d’un battement de cils, immortalisé.
Quand je revenais à moi, Sabrina était dans mes bras, Pierre me disais aurevoir, la folle avait disparu, la fille que je cherchais aussi (certains l’auront sans doute deviné, nous la retrouverons plus tard, longtemps, d’ailleurs nous l’avons déjà évoqué). Le lendemain, j’espérais la soirée plus calme mais nous étions en zone de risque, je devais lui faire découvrir le fameux Kio est sa piste tournante.


J’attendais au bas du bloc immeuble de Vitry, quand je vis un truc incroyable débarquer. Je ne savais pas si il fallait que je jette un drap dessus ou que je lui demande d’aller se changer mais elle était habillée comme un mix subtil entre l’évadée d’un clip de R. Kelly et la pornstar d’une superproduction Marc Dorcel. Elle était revêtue d’une combinaison de latex argenté avec une grande fermeture éclair partant du cou jusqu’au nombril, et des bottes noires. Elle s’était lâchée sur le look superheros fétichiste. J’étais dans un état….
J’essayais de la convaincre de ne pas sortir, la fatigue, la distance vers ce coin perdu dans la foret, etc. Mais, elle voulait connaître l’endroit, croiser mes amis et je subodore, rencontrer à nouveau la folle blonde pour marquer son territoire… La nuit était noire, et dans les bois entre Champagne s/seine et Melun, je lui fis le coup de la panne avec les sangliers comme témoins. Cela ne l’arrêta pas, elle rezippa son uniforme de pétasse et nous repartîmes. Une fois arrivés, je croisais David, un black au physique de gorille, très bon danseur, que je dû attacher car il était surexcité à la vue de ma Power Ranger. Je passais la soirée en mode bodyguard, escortant la belle partout, même aux toilettes car les gars étaient tous dans le même état que mon pote gorille, j’étais de plus en plus énervé.
Sabrina se fit très calme et câline, rien a voir avec sa tenue extravagante, impossible de lui en vouloir, et de retour à sa cité, elle dormait comme un bébé la tête collé contre la vitre, ça me changeait du ronflement de Christophe quand nous rentions de soirée. Je me fis gentleman, et l'a pris dans mes bras, mon blouson comme couverture jusqu'à sa cage d’escalier.


On se voyait moins car j’avais du boulot en retard, notamment un essai qui me tenait à cœur sur l’évolution de la condition des noirs au USA suite aux émeutes de Los Angeles. Bouba faisait déjà tout mon boulot pendant l’année, là c’était le money time, on devait s’y mettre a deux. Sabrina avait un truc à rendre sur un travail continu sur l’année sur Access mais n’avait absolument rien compris et donc rien fait, elle stressait sur ce truc d’un an a faire en quatre jours. Résultat, je me retrouvais à apprendre l’utilisation d’Access et le SQL, faire tous ces TD et son projet de fin d’année (Petit clin d’œil du destin car sans elle je n’aurais jamais travaillé sur la programmation SQL sur Access et donc eut mon premier boulot !!...Papillon effect).
Elle avait un autre problème, un examen de comptabilité et elle était nulle. J’appelais Christophe et lui proposait de devenir professeur pendant un après-midi car ma conquête avait un cerveau de poulpe, il accepta. Il lui fit un cours d’une heure et demi sur les bases de la compta, et vint me voir en aparté.
- Elle est gentille mais c’est chaud pour son examen, elle comprends rien…
- Hum….ouais, je sais, elle est un peu….conne
- Mais non, c’est pas son truc les maths c’est tout
- Ouais mais hier on a regardé Dobermann….elle m’a dit qu’elle n’avait rien compris
- Heu….
- Elle m’a dit qu’elle ne comprenait rien a ce que rappait MC Solaar
- Ok, elle est…
- Bonne mais conne, je sais…
On se mis a rire
L’après midi passa. Je jouais à Sensible Soccer avec Christophe pendant que la miss faisait ses exercices de compta dans le salon...On était tous trois dans la chambre quand la clef tourna, ma mère était rentrée plus tôt que prévu, et ça, ce n’était pas prévu. On se mit en file indienne pour dire bonjour, j’ouvrais la marche.
- Bonjour madame, quel plaisir de vous revoir !
- Vini bô mamanw ipocrit

Christophe riait comme un phoque. Sabrina se faisait toute petite, elle n’avait pas l’habitude de voir une tornade arriver dans un appartement. Et surtout elle s’était bloqué car ma mère l’avait prise pour Caroline, la copine de Chris sans penser un instant que c’était la mienne. Elle me jetais de grand regards de fille perdue.
- Mon dieu quelle est jolie ! Elle est toute mimi!!
- Hum...On va y aller la ! répondis-je, sinon on va avoir les bouchons
- Coumen ? difé ? ….je lui coupais la parole car elle était visiblement en grande forme et donc incontrôlable en cas d’élan
- Je dois ramener Sabrina, elle doit garder sa petite sœur ce soir…
Une fois dans la voiture Sabrina ne disait pas un mot, elle se contentait de me tenir la main sur sa cuisse m’empêchant de passer les vitesses ce qui m’énerva. Dans les embouteillages du retour avec Chris, je faisais le constat de la situation : je devais arrêter cette histoire car elle ne comblait pas ma Trinité.


Mon argumentation était simplissime, un syllogisme. L’harmonie d’un couple était basée sur ce que je nommais : la Trinité. Trois variables qui cimentaient une relation dans le temps, permettant de trouver un équilibre personnel et mutuel : le corps, la tête et le cœur.
Le corps est l’assouvissement des desiderata sexuels mais aussi la pérennité du désir et de la volonté de séduire l’autre, on peut même parler de l’orgueil né du désir des autres sur l’être que l’on possède.
La tête est l’assouvissement des desiderata intellectuels, la nourriture de l’âme, pouvoir discuter, avoir une complicité, partager des intérêts et des découvertes, échanger sur ses sentiments, ses doutes, ses rêves ; connaître l’autre jusqu'à ces moindres détails.
Le cœur est l’intangible cavalerie qui mène la guerre, l’alchimiste transformant les odeurs, le toucher de l’autre, le goût de sa peau, le son de ses gémissements et sa vue en dépendance, en irraison. Le cœur est le cavalier ultime de l’apocalypse.


A SUIVRE...

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