jeudi 26 novembre 2009

In the rain

Interlude

Les mails urgents s’accumulent dans ma boite, sur le bureau une pile de notes de frais à viser, des présentations à valider, un planning à définir…je n’ai d’appétence en rien. J’écris tous les jours dans ma tête des pages et des pages de ce blog, vous ne les lirez jamais, au mieux quelques échardes coincées entre mes doigts s’épancheront en numériques. Je passerais bien mes textes dans un décodeur hexadécimal pour voir s’ils se codent avec plus de 0 que de 1. Cela serait un juste reflet, le miroir ASCII de ma vie. Le lecteur mettrait ma mémoire dans le logiciel et naviguerait d’offset en offset sur les épisodes ayant quelques intérêts. Vous seriez assis dans votre canapé, un verre à la main et un bol de pop corn sur les genoux pour regarder la diffusion du jour sans coupure pub, la vie dissolue d’un être inconstant. Mes amis, acteurs malgré eux, aurait pu voir les coulisses des événements qu’ils ont vécus, mes anciennes muses auraient vu a travers mes yeux toute la tendresse maladroite et sincère des mes actes manqués. Peut être auriez vous compris ce que mes mots ne pourront jamais transcrire, faute de talent. Mais comment décrire des odeurs, comment décrire le frisson du dernier baiser que l’on pose avant de partir à jamais, comment décrire le cœur sur le point d’exploser trop plein de peine, d’angoisse, comment décrire la perdition d’une âme, comment décrire l’amour.
Dans le film ‘Under the Cherry Moon’ de/avec Prince, sa conquête lui pose sans cesse la même question ‘Do you love me ?’ et sans cesse il a la même réponse ‘Define love’…Define love, c’est un peu l’objet de ce blog, un objet d’une ambition insensé, donner une couleur à l’invisible.

Dès le début de ce blog j’ai averti que la linéarité des événements ne serait pas possible, que nous allions jongler d’une archive de ma vie à une autre, puis revenir. Suivant cette absence de logique chronologique, je quitte un moment l’histoire de Valérie (nous y reviendrons miss, nous y reviendrons), pour vous raconter autre chose.

Un jour de pluie

J’étais à Bucarest. Je venais d’arriver dans la ville en ce dimanche pluvieux. Mon hôtel était situé un peu loin du centre et bien qu’ayant tenté une longue balade à pied pour me rendre sur les axes principaux, j’en étais encore loin. Ma carte de la ville était trempée, je ne savais pas plus trop où j’étais. Je me mis à un arrêt de bus et commençait à discuter avec une vieille roumaine qui parlait français. Souvent ce genre de chose m’arrive, je me retrouve au milieu de nulle part et je tape la discute avec des gens qui se demandent ce que je fais la. Je dois avoir la tète d’un type qui n’est pas du coin mais qui est super sympa, car les gens viennent systématiquement vers moi. Elle avait un peu de mal en français car elle ne pratiquait pas depuis longtemps mais elle comprenait assez bien, je lui proposais de l’avancer en taxi au centre ville si elle négociait le prix et indiquait au chauffeur où aller.
Je me retrouvais sur Piata Victoriei, nexus des boulevards majeurs et pouvait découvrir la ville. Au bout de deux heures de marche, totalement affamé, épuisé et à nouveau perdu je cherchais un lieu de restauration quand l’averse se fut plus violente. Je rentrais dans un café de type Coffee House comme on en trouve en Russie, non loin du palais monstrueux de l’ancien dictateur local.

J’étais trempé, je me fis comprendre plus ou moins par le serveur et allait me sécher au toilettes. Dans le couloir menant aux toilettes, je tombais face à une jeune blonde. Je tentais de passer par la droite, elle tentait de même de son cote, je changeais, elle aussi, on se mit à rire. Je m’écartais et la laissait passer. Je me séchais les cheveux, essuyait mes lunettes et retournais voir le serveur. Je prenais un grand capuccino et un énorme muffin au chocolat et m’assied sur la table contre le mur. Au bout de dix minutes, j’étais congelé, la table était collée contre une bouche d’aération qui envoyait de l’air froid sur mes jambes. Je me retournais et voyait le canapé libre. Je m’y installais. La fille blonde arriva, un peu gênée. Elle me dit une phrase en roumain et je lui rendis un sourire niais en réponse. Elle se mit à rire.
- I…was…in toilet…
- Hum….again ?

Elle riait.
- This…my place
- Oh…sorry, thought it was free
- Ok ok stay…big place…me here

Elle me montrait du doigt l’autre extrémité du canapé. Je ne comprenais pas trop alors je me levais pour aller de l’autre coté du canapé et lui rendre sa place. Elle me stoppa d’une main sur ma poitrine.
- No…me here
Je suis un peu réfractaire aux contacts physiques entre non-intimes, et sa main sur ma poitrine était comme une violation de mon espace personnel. Je regardais sa main, elle le remarqua.
- Ah…sorry…sorry
- No it’s me, bad reflex…I’m just...
- Sorry …
Elle retirait sa main
Je lui repris la main. Elle se mit à rougir et baissa la tête dans sa longue chevelure blonde. Je ne voyais plus son visage
- Now, I feel terrible lui dis-je
- You…funny !
Je me mis à rire, m’écartant pour qu’elle puisse s’asseoir. Elle ne disait plus un mot, moi non plus. Je mangeais mon muffin. Notre regard se croisait de temps à autre, furtivement, on se souriait. Et puis elle se leva à nouveau pour aller aux toilettes.
- Again ?!!!!!
Elle était toute rouge, je remarquais pour la première fois ses yeux verts. Elle laissa échapper une onomatopée ou peut être un mot dans sa langue auquel je répondis par un OK ! Elle me regarda fixement pendant 20s, je ne savais pas trop quoi faire, je la regardais aussi.
- What…you …do…here ?
Et par cette simple phrase débuta une conversation qui dura plus d’une heure, pleine de sourires, ouverte sur les choses de la vie avec une candeur infinie…Je regardais ses mains dessiner des cercles dans le vide quand elle cherchait ses mots, ses joues remonter quand je la taquinais, je regardais son visage parfait peindre en encre psychédélique des papillons dans l’air quand je tentais de dire son prénom d’origine slovaque: Kwetuzka. Je me sentais comme ivre d’elle.
Elle regarda son portable. Et me pris la main.
- We go…
- Where ?
- …Walk
- It’s raining !
- …We go…

Je n’avais pas trop le choix. Je la suivais dans la rue sous la bruine. On marchait sans rien dire, elle me tenait toujours la main. On faisait le tour de l’immense bâtisse de Ceausescu. Et à la lumière d’un lampadaire, elle s’arrêta et me serra contre elle, tête sur mon épaule. On resta la un temps qui me sembla être une éternité. Je fermais les yeux dans ce no man's land temporel.
Quand je les ouvris, elle apposait sur ma joue un baiser et entrait dans un taxi. Je ne l’ai jamais revu, nous n'avons pas échangés nos numéros.

Je n’eut pas le temps d’y penser, mes journées de travail étaient longues, je pris l’avion deux jours plus tard, rentrait chez moi me changer et partait en séminaire en campagne.
Dans ma voiture, au retour du seminaire, je commençais à me poser des questions.
Est-ce que j’aurais franchit le cap si elle était resté plus longtemps avec moi ? Est-ce que seulement j’aurais voulu poser mes lèvres contre les siennes pour savoir ce que cela faisait ? Est-ce que ma vie sentimentale partait en vrille? Étais-je encore amoureux de la fille qui partageait ma vie ? Est-ce que je n’étais pas un amoureux de l’amour ? Un cœur d’adolescente acnéique battait-il sous ma poitrine ?

Je suis entré chez moi, Emmanuelle dormait sur le canapé, il était 20h. Je la regardais un moment sans rien dire, puis je la réveillais. Je voulais lui dire combien je tenais à elle, je voulais lui raconter cette histoire. Elle s’est levé la tête embuée, m’a regardé et sa première phrase fut a propos de moisissures dans la chambre, puis elle enchaina sur un mal de ventre, puis sur autre chose. J’étais à genoux a coté d’elle assise en boule sur le canapé. Je la regardais sans rien dire, je n’écoutais pas vraiment ce qu’elle disait. Elle me posa une question, je répondis oui, machinalement. Elle se leva et partit aux toilettes.
Je me retrouvais seul, assis dans la pénombre. Je ne pouvais pas lui parler. J’avais envie de hurler, la réponse a toutes les questions que je me posais plus tôt sur la route était ce simple oui que je venais de murmurer. Je me sentais mal, je n’avais rien fait mais cet instant avait comme déclenché un raz de marée en moi car l’espace d’un instant je m’étais senti en vie. En vie ! Je ne savais même pas que j’étais comme mort, je ne savais pas que notre histoire était entrain de mourir sans bruit tenue sous respiration artificielle par nos sentiments encore si forts mais si vains face au quotidien. Je ne pouvais pas lui parler, et ce simple fait était comme une grenade dans notre lit. Est-ce une utopie de vouloir partager toutes ses pensées, toutes les moments que l’on vit, en bien ou en mal avec la personne qui nous accompagne ? Est-ce que nous pouvons encore vivre ensemble sans se parler, sans évoquer nos doutes et nos blessures ? Trop souvent les relations se construisent sur la négation du moi d’un des deux partenaires, il s’efface par amour car l’autre a besoin de place et quand cet autre prends toute la place que reste-il ? Si je te parle tu ne dormiras plus, si je ne te parle pas je ne dormirais plus, quel jeu futile. Ne devions nous pas être UN ? Pourquoi ne me connais tu pas apres tout ce temps?

Ce soir la, j’ai pris la décision de sauver notre vie, je n’ai pas réussi mais cela est une autre histoire.

3 commentaires:

  1. "Mais comment décrire les odeurs, comment décrire le frisson du dernier baiser que l'on pose avant de partir à jamais, comment décrire le coeur sur le point d'exploser trop plein de peine, d'angoisse, comment décrire la perdition d'une âme, comment décrire l'amour ?"
    Dans ton cas, la littérature me paraît une possibilité sérieuse et raisonnable. Continue.
    Rod

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  2. Inutile de les décrire, c'est peine perdue puisqu'il faut les vivre pour les comprendre. Les dire, et surtout bien les dire, voilà l'essentiel.
    Maitre Pouleto.

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